Moonraker, aux confins du tournage
Soixante-dix-neuf, année « space-ifique ». Si dans l’espace il paraît que personne ne vous entend crier, le vide sidéral n’aura jamais été autant peuplé en cette année 1979. Les étoiles sur les toiles n’auront jamais été aussi scintillantes et les stars se précipitent aux portillons des navettes en tous genres pour des voyages rarement au bout de l’ennui. James Bond ne ratera pas le coche de l’histoire de ce temps tentant où seule la démesure est à sa mesure.
Par Marie-France VIENNE
Star Trek, Star Wars, Le Trou Noir, Alien, Battelstar Galactica, Meteor avec … Sean Connery, tiennent le haut de l’affiche et il est impensable pour Cubby Broccoli de laisser 007 sur la terre ferme quand l’actualité se bouscule à des milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes.
L’espion qui m’aimait fut un succès planétaire qui a installé Roger Moore au faîte de sa gloire bondienne. Son nom est désormais automatiquement associé à celui de l’agent le moins discret de Sa Majesté. Son élégance, son humour, ses mimiques et répliques bien balancées l’ont rendu populaire aux yeux du grand public.
Actualité spatiale oblige, ce ne sera pas Rien que pour vos yeux qui sera l’opus suivant comme annoncé à la fin du film précédent. Cubby Broccoly et United Artists décident en effet d’adapter Moonraker, le troisième roman de Ian Fleming, publié le 7 avril 1955. Le roman qui avait déjà fait l’objet d’une pièce radiophonique dramatique sud-africaine en 1956-1957, avec la voix de Bob Holness. La trame originale de « Moonraker » est moins ambitieuse que le film puisqu’à l’origine il s’agissait d’un fou qui projetait d’anéantir Londres à l’aide d’un missile à ogive nucléaire.
Le tournage du film débute le 11 août 1978 dans les studios d’Epinay, près de Paris. Il s’effectuera dans quatre studios et trois pays différents. Les effets spéciaux, quant à eux, seront filmés par le génial Derek Meddings aux studios de Pinewood.
Le gouvernement britannique ayant décidé de modifier sa politique fiscale, le film sera en grande partie tourné en France.
Avec une belle brochette d’acteurs français à la clef, à commencer par l’excellent Michael Lonsdale, parfaitement bilingue, pour incarner le sombre et messianique Hugo Drax, un méchant tout en retenue et en duplicité. Le rôle fut initialement proposé à James Mason.
Lacunes sur la lagune
Pour empêcher Drax de détruire la population de la Terre et la repeupler ensuite avec une race soit disant supérieure qu’il aura créée à l’aide d’une centaine de jeunes couples réunis dans une gigantesque station spatiale, Bond s’associe au Docteur Holly Goodhead.
C’est Lois Chiles, déjà pressentie pour incarner Anya dans L’espion qui m’aimait, qui est l’alliée de 007. Pas choquée par son nom à connotation sexuelle vulgaire (« bonne suceuse »), elle sera le contraire des potiches qui ont l’habitude d’accompagner James dans ses aventures. Requin fait son retour. Le grand méchant doux finira même par prononcer quatre mots à la fin du film. Et même si c’est pour ne rien dire, c’est ça qui change tout.
Roger Moore sera l’homme de Rio et absolument pas disposé à mourir à Venise. L’équipe de tournage voyage en Concorde, qui rallie alors Paris à Rio en cinq petites heures. La fameuse salle de contrôle dessinée par Ken Adam est nichée dans les studios de Boulogne. Pour la scène de la grotte, deux pythons de 7 mètres et de 180 kilos chacun sont capturés à Tarzana puis expédiés dans de gigantesques boîtes.
On l’aura compris, c’est du lourd et de grands moyens qui sont déployés pour des scènes plus époustouflantes les unes que les autres : le pré-générique avec la chute de Bond dans le vide (et l’ami Jean-Pierre Castaldi en prime), le combat sur le toit de deux téléphériques filmé à 600 mètres d’altitude – Martin Grace et Richard Graydon en ont encore des sueurs froides – Bond à la limite de la rupture dans la centrifugeuse de l’usine de Drax, le combat de Bond face à Chang dans la verrerie Venini de Venise, sans compter les scènes en apesanteur qui ont nécessité des jours de travail.
A propos de la cité des Doges, James Bond a peut-être laissé le printemps sur la Tamise mais pas les gondoles à Venise. Bond ne traverse pas Venise à moto, comme initialement prévu par Christopher Wood, mais à bord d’une gondole dotée d’un moteur de 120 chevaux et sur coussin d’air. Avant de pouvoir enfin se hisser et traverser la place Saint-Marc peuplée de badauds, la « Bondola » enverra son élégant chauffeur quatre fois par-dessus bord, au grand amusement de 40.000 touristes hilares.
Quatre costumes en soie grise gâchés au grand dam de Roger Moore, qui avait également jeté son dévolu sur une série de bagages Ferragamo. Eux-aussi ont fini leur course au fond de la lagune…
Moonraker c’est aussi des allusions à 2001, Odyssée de l’espace, avec les trois premières notes du « Zarathoustra » jouées au cor de chasse : le code d’entrée d’une porte qui sonne avec les cinq notes de Rencontres du troisième type, la musique des Sept Mercenaires, qui accompagne une séquence à cheval.
Le scénario a une nouvelle fois été pensé pour Roger Moore. Pour lui, Bond, c’est la projection d’une personnalité, en l’occurrence la sienne. On n’interprète pas Bond comme Lear. Conscient que Sean Connery est bien plus costaud et qu’il était plus facilement considéré comme un tueur, il a usé de la carte de l’humour qui est devenu sa marque de fabrique.
« Si je vous menace, vous ne me croirez pas car vous savez qu’après je vous inviterai à prendre un verre », déclare-t-il en souriant en marge du tournage.
Avec 210 millions de dollars de recette mondiale pour le film, on peut dire que la cuisine de Roger Moore a eu l’heure de plaire au public.
Et tout le monde attendra qu’il remette le couvert. Avec lui, James Bond repasse les plats avec le même bonheur.