Exclusif : Interview avec Monica Bellucci
Dans 007 SPECTRE, Bond croise la route de la séduisante veuve Lucia Sciarra. Monica Bellucci fait son entrée dans la franchise et se livre sur son expérience
Propos recueillis par Eric Saussine et Pierre Fabry
Vous aviez été approchée pour jouer dans Tomorrow Never Dies, est-ce exact ?
Monica Bellucci : Voilà près de vingt ans… j’ai fait un essai parmi d’autres, cela ne s’est pas fait. Finalement, je trouve que c’est plus intéressant pour moi aujourd’hui : j’ai apporté une nouveauté dans cette « institution ». Pour la première fois, Bond est confronté à une femme plus âgée que lui. Lorsque l’on m’a contacté, j’étais surprise. Ensuite, j’ai rencontré Sam Mendes à Londres : il m’a dit « je cherche une femme mure, pour la première fois je veux mettre une femme adulte aux côtés de James Bond ». Nous lui avons donc donné vie ensemble : il fallait ressentir sa solitude, son désespoir. Même si c’est un rôle court dans le film, c’est un rôle clé : elle donne des informations à Bond, ce qui lui permet de débuter sa mission. J’ai peu de temps à l’écran, mais je dois proposer une large palette de sentiments. Puis il y a ce moment magique avec James Bond, cette lutte semblable à une danse.
Le discours de la féminité représenté à l’écran est intéressant. Même si elle n’a plus la beauté de la jeunesse, Lucia a une féminité qui lui sauve la vie. Il y a là un message : en dépit de son âge, une femme peut toujours être désirable. La féminité est intérieure et pas une question d’apparence.
Lucia représente le passé. Elle vit dans un monde où elle n’a pas la parole et dans lequel les hommes ont le pouvoir. Elle répond en quelque sorte à un pacte à l’ancienne : je te donne des informations, tu me sauves la vie, nous faisons l’amour. Bond lui offre la liberté. Madeleine, elle, représente le futur : une femme en action qui va sauver Bond. Elle n’a pas besoin de cela : elle se fait respecter et connait sa valeur. C’est comme un cheminement de la femme, de l’une à l’autre.
Avez-vous construit votre personnage par rapport à celui de Léa Seydoux ?
Monica Bellucci : Non. J’ai lu le scénario. Sam Mendes m’a raconté ce qu’il voulait faire de Lucia. Tout est à l’écran. C’est un réalisateur très précis et qui sait absolument ce qu’il veut. Il sculpte les personnages. On sent que sa matrice est le théâtre : un travail sur les personnages et l’esthétique du film. Avec lui, on dirait presque que James Bond est devenu un film d’auteur (rires). Il y a bien sûr l’action, la violence, propres au film à grand spectacle, mais en même temps aussi le suspense, les personnages à la psychologie ciselée. C’est un James Bond moderne, qui a le mal de vivre, un instinct de mort. J’adorais Sean Connery, mais c’était un 007 formaté, sûr de lui. Le Bond de Daniel Craig est un tueur, mais il a un instinct de mort, il doute, ce qui le rend très humain et proche de nous. C’est sans doute pourquoi la tradition bondienne est toujours aussi forte.
Et jouer aux côtés de Daniel Craig ?
Monica Bellucci : Daniel est un acteur pour qui j’ai beaucoup de respect. Il a tant de facettes différentes : tantôt agressif, menaçant et extrêmement délicat en même temps. Cette dualité, rationnel /émotionnel, fait lui de quelqu’un de rare.
Ce film n’annonce-t-il pas la fin des Bond girls ?
Monica Bellucci : L’évolution de la tradition est positive. J’ai toujours entendu dire que les Bond girls étaient des femmes objets, mais toute les actrices ont envie de les incarner ! (rires) Faire partie de la saga, c’est iconique. L’élément qui revient sans cesse : c’est la très forte féminité. Et nous les femmes, aimons cela… J’ai adoré Famke Janssen, Sophie Marceau, Eva Green, Rosamund Pike et Halle Barry magnifique, émergeant de l’eau à la façon d’Ursula Andress. Ce sont des rôles féminins dont on se souvient, et puis peu importe si ce sont des femmes objets !
Le tournage d’un Bond est-il différent des superproductions que vous avez connues ?
Monica Bellucci : Je suis traitée comme une petite princesse (rires)… Mais quand je suis devant la caméra, que le film soit à petit ou gros budget, ma peur est la même. J’ai envie d’interpréter des rôles qui me font peur, et ce rôle m’impressionnait. La diversité de sentiments, Sam Mendes, Daniel Craig qui me touche et avec qui j’avais envie d’avoir un vrai moment de partage…
Quel est votre Bond préféré ?
Monica Bellucci : Sean Connery. Je n’en ai jamais rencontré, mais j’adorerais rencontrer un homme sûr de lui, qui sait tout sur tout. Mais en même temps, sans doute que les défauts font aussi le charme d’un homme… Et côté film, Skyfall dont la modernité m’a touchée. J’ai aussi accepté d’entrer dans le monde de 007 parce que c’est un style de cinéma qui me ressemble. Un parcours cinématographique qui me plait… instinctif, où rien n’est prédestiné. Je suis toujours allée vers des projets qui me plaisent, qu’il s’agisse d’un film d’auteur comme Maléna, La Passion du Christ, Irréversible et, à côté de cela, Matrix, Asterix, Garrel, Kusturica…
Parlez-nous de la scène dans laquelle Bond vous soutire des informations tout en vous embrassant…
Monica Bellucci : C’était assez drôle. Je ne connaissais pas Daniel Craig auparavant. Nous avions juste fait une lecture collective. Juste le temps de se dire « Bonjour » et on y va ! C’est la magie du cinéma. Le jeu est la représentation de la vie, pas la vie. Et c’est ce qui rend ce métier si particulier. Nous les acteurs sommes comme les danseurs : le corps fait passer les sentiments. C’est un métier où l’on n’a pas de filtres. Ce qui peut être dangereux, et violent parfois.
Est-ce plus difficile de ne pas jouer dans sa langue maternelle ?
Monica Bellucci : Nous sommes acteurs, pas parleurs. Les mots sont réducteurs pour exprimer les sentiments. La véritable expression de l’acteur c’est celle du corps. Dans tous mes films, mon corps a toujours été très présent. Voilà pourquoi j’aime prendre de l’âge, le temps qui passe : en dépit de la jeunesse qui fuit, d’autres choses vont se mettre en place…
Combien de jours de tournage cela a-t-il représenté ?
Monica Bellucci : Contractuellement, dix jours étaient prévus… mais nous l’avons tourné en moins que cela.
Qui a choisi votre look dans le film ?
Monica Bellucci : Janine Temine, la costumière. C’est d’autant plus important que les costumes ont une signification… Lucia est toujours en noir, et Madeleine en blanc. Ils créent aussi les personnages. Ce qui est beau dans ce métier c’est qu’il y a toute une part rationnelle – les chaussures, la coiffure, l’apparence, la technique – puis une part irrationnelle, la plus intéressante. La peur de ne pas savoir…
Propos recueillis le 30 octobre. Un grand merci à Anne Lara pour son attention, son efficacité et sa patience.